Plutôt qu’un mariage, proposons le polyamour à l’UE
CHRONIQUE. La Suisse essaie depuis des années de conclure un accord avec l’Union européenne. Au lieu de se rapprocher d’une entité qui s’essouffle, tant économiquement que démographiquement, elle devrait regarder plus loin. Son avenir est ailleurs
Au début du XIXe siècle, différents Etats européens fermèrent leurs frontières pour freiner la concurrence venue de Grande-Bretagne. Ce cloisonnement des marchés européens impacta également négativement la Suisse, qui vit ses exportations entravées. Loin de se résigner, les marchands suisses se tournèrent alors rapidement vers d’autres débouchés, outre-mer. Comme le raconte l’historien Cédric Humair, dans son livre La Suisse et les puissances européennes, «Dès les années 1820, de l’horlogerie est vendue en Chine, des tissus aux Etats-Unis et du fromage au Brésil». D’abord vu comme une catastrophe, le protectionnisme du continent européen permit involontairement à la Suisse de réduire sa dépendance économique envers ses voisins. On estime qu’en 1845, environ 36% des exportations rejoignaient l’Europe, et 64% l’outre-mer (Amériques, Asie, etc.). Cette anecdote montre que la stratégie et les partenaires privilégiés de la Suisse ont évolué au fil du temps, en fonction des réalités extérieures. Au service de nos intérêts, notamment économiques.
Depuis maintenant trente ans, la Suisse peine à décider quelle est sa stratégie extérieure. Si elle a rejeté l’adhésion à l’Espace économique européen en 1992, elle a ensuite signé des accords bilatéraux, qui l’ont rapprochée de l’Union européenne. De base, la philosophie politique des deux entités diffère diamétralement, mais avec la reprise dynamique du droit européen, leur convergence politique est un fait. Sans grand enthousiasme, la Suisse poursuit cette stratégie de l’entre-deux. Or, malgré ce rapprochement sur le plan politique, les chiffres montrent qu’économiquement, ce sont d’autres partenaires qui gagnent en importance pour la Suisse. Alors qu’en 1990, presque 68% de nos exportations (en valeur) étaient destinées à l’Europe, aujourd’hui, c’est à peine 45%. Ce recul s’explique par le fait que dans le même laps de temps, nos exportations vers l’Asie et l’Amérique du Nord se sont multipliées par huit. Ce mouvement va encore s’accélérer avec le vieillissement de la population en Europe et l’ouverture vers de nouveaux marchés. Comme celui gigantesque de l’Inde, symbolisé par la conclusion d’un accord de facilitation des échanges récemment. A terme, l’Asie deviendra sans doute notre principale zone d’exportations.
Le Temps publie des chroniques, rédigées par des membres de la rédaction ou des personnes extérieures, ainsi que des opinions et tribunes, proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Ces textes reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du média.