Qui pour recevoir la délégation?
C’est que l’agenda même de sa visite a fait l’objet d’une passe d’armes entre unionistes et indépendantistes. Dans le premier camp, on raille la méconnaissance des structures onusiennes d’une délégation qui s’attendait à être reçue avec les honneurs. Au château de Penthes, où il reçoit Le Temps, nous croisons pourtant l'expert indépendant (et certes controversé) de l’ONU Alfred de Zayas, auteur d’un rapport sur le droit à l’autodétermination du peuple catalan, dont le mandat arrive à son terme fin avril.
Roger Torrent balaie l'accusation de méconnaissance et évoque des rencontres confidentielles avec «d’autres rapporteurs de l’ONU» ainsi qu’avec des élus suisses, tous échelons confondus. «Nous sommes venus ouvrir des voies de dialogue; elles nous profiteront peut-être plus tard. Au-delà des Nations unies, la Suisse a une culture démocratique et une tradition de médiation.»
Ambassadrice espagnole «étonnée»
L’ambassade espagnole en Suisse confirme avoir été informée de cette visite, mais l’irritation point. A titre personnel, l’ambassadrice Aurora Diaz-Rato Revuelta se dit étonnée que «le président du parlement catalan prenne du temps pour voyager en Suisse plutôt que de tenter de former un gouvernement efficace pour les citoyens catalans».
Suite à la mise sous tutelle de la Catalogne par le pouvoir central (en vertu de l’article 155 de la Constitution), les services de diplomatie catalans – Diplocat – ont été «liquidés». Y compris leur très jeune représentation auprès des Nations unies à Genève. Depuis, les élus régionaux ont multiplié les tournées à l’étranger. «Je suis convaincu que c’est une tâche qui nous incombe, défend Roger Torrent. Surtout considérant qu’il n’y a pas de gouvernement en ce moment.»
Issu d’une nouvelle génération de politiciens du parti Esquerra Republicana, Roger Torrent n’est pas encore inquiété par la justice. A Genève, l’ancien maire de la paisible bourgade de Sarria de Ter (5000 habitants), dans la très catalaniste province de Gérone, avait un objectif politique assez clair: pousser la candidature de Jordi Sanchez à la présidence de l’exécutif catalan. Or l’ancien dirigeant de l’organisation indépendantiste ANC est en prison préventive depuis mi-octobre. Une mesure qui n’épuise en rien ses droits politiques, estime Roger Torrent, qui rappelle que le Comité des droits de l’homme a émis une résolution dans cette direction.
Après le plan C, le plan B
C’est déjà la deuxième fois que Jordi Sanchez est évoqué. Après l’exil volontaire de l’ancien président Carles Puigdemont à Bruxelles, son nom avait été prononcé. Mais le juge avait refusé de le libérer et le choix s’était porté sur le centriste Jordi Turull, qui n’avait, lui, pas réussi à convaincre l’extrême gauche catalane (CUP) et doit également comparaître devant la justice espagnole.
«Ce n’est pourtant pas compliqué, s’énerve une source gouvernementale espagnole. Il faut quelqu’un qui ne soit pas poursuivi par la justice, qui soit en Espagne et qui puisse se présenter tous les matins au bureau pour travailler!»
Prison préventive et exil
Suite aux événements du 1er octobre, ils sont actuellement une dizaine à faire de la prison préventive et quatre à avoir choisi l’exil, dont deux ex-députées qui ont choisi Genève: Anna Gabriel (CUP) et Marta Rovira, l’ancienne secrétaire de parti de Roger Torrent. Alors pourquoi ne pas continuer à miser sur un renouvellement des forces politiques? Le député rappelle qu’il «n’improvise pas de candidats» et évoque la majorité indépendantiste sortie des urnes lors des dernières élections anticipées. «Est-ce que l’Etat espagnol a prévu d’emprisonner 2 millions de Catalans?» ironise-t-il.
Quoi qu’il en soit, si les sphères politico-judiciaires ne s’accordent pas sur un candidat A, B ou C avant le 22 mai, les électeurs devront repasser par les urnes. Une solution «non désirable», selon Roger Torrent, mais à laquelle les deux camps semblent se résoudre.