«Racines profondes»
Selon un sondage publié le 13 février dans l’hebdomadaire L’Espresso, près de 80% des Italiens sont convaincus que «la corruption en politique est le miroir de la société italienne». Le phénomène «semble encore avoir des racines profondes, mais il est certainement très différent, commente Alberto Vannucci, professeur de sciences politiques à l’Université de Pise. Les principaux partis politiques aujourd’hui ne sont plus impliqués dans une gestion unitaire d’un système de redistribution des ressources soustraites à la collectivité et allouées à l’intérieur de leurs circuits de corruption.»
Dans les années 1980 et au début des années 1990, la corruption était au contraire «systémique, organisée» au niveau local et national, rappelle-t-il. Alberto Vannucci consacre une partie de sa carrière à l’étude de cette réalité. Depuis plus de dix ans, il est responsable du master interuniversitaire en analyse, prévention et lutte contre la criminalité organisée et la corruption. «A l’époque, les pots-de-vin s’échangeaient sans même se demander pourquoi, poursuit-il. Il ne s’agissait pas de la somme de nombreux épisodes isolés mais d’un modèle de comportements: les entrepreneurs savaient devoir respecter certaines règles, devoir payer l’administration publique et la politique pour obtenir des licences ou des contrats publics.»
Ce système s’organisait autour de trésoriers, représentants des partis, de majorité comme d’opposition, et d’émissaires de cartels d’entreprises. Les entrepreneurs se partageaient les marchés publics après paiement de pots-de-vin que les partis se divisaient. Les magistrats découvrent cette organisation après l’arrestation le 17 février 1992 de Mario Chiesa, membre du Parti socialiste milanais. Le politicien, propriétaire d’une maison de retraite, avait touché un pot-de-vin de 7 millions de lires, payé par le dirigeant d’une petite société pour s’assurer la victoire du concours public pour le nettoyage de l’hospice. Mais las de devoir payer, cet entrepreneur avait dénoncé les faits aux forces de l’ordre.
Rapport opaque entre magistrature et politique
Les enquêteurs reconstruisent un système remontant jusqu’au sommet de l’Etat. Le scandale implique notamment le gouvernement de Giuliano Amato et le secrétaire du Parti socialiste Bettino Craxi. Les politiciens sont violemment contestés tandis que la popularité du magistrat Antonio Di Pietro augmente. Celui-ci quitte la magistrature moins de trois ans après le début de l’enquête et devient ministre des Travaux publics de Romano Prodi. Sa carrière politique le mène aussi sur les bancs de la Chambre des députés, du Sénat et du Parlement européen. Et pose un problème, hérité de «Mains propres», que l’Italie aujourd’hui encore ne réussit pas à résoudre: celui du rapport opaque entre magistrature et politique.
La réforme de la justice fortement voulue par le premier ministre Mario Draghi prévoit ainsi de bloquer le phénomène des «portes tournantes». Une fois le texte approuvé, il ne sera plus possible pour un magistrat d’exercer dans le même temps une charge politique ni de se porter candidat dans une région où il a travaillé durant les trois années précédentes. Et il lui sera interdit de retrouver sa profession après un mandat électoral ou gouvernemental. La ministre de la Justice Marta Cartabia souhaite une magistrature «plus sévère avec elle-même» et espère protéger les «nombreux juges travaillant silencieusement».
Ces derniers luttent aujourd’hui contre de nouvelles formes de corruption. Cette altération s’immisce encore partout en Italie, dans l’organisation de l’exposition universelle de 2015 à Milan comme dans la construction du Mose, la digue géante de la lagune vénitienne; dans les allocations pour faire face à la crise sociale et économique provoquée par la pandémie comme dans les aides immobilières allouées l’an dernier par le gouvernement Draghi. La corruption est désormais «polycentrique, affirme le professeur Alberto Vannucci. Et la pratique de la corruption est toujours plus difficile à reconnaître. Les magistrats peinent par exemple encore à identifier les financements de fondations liées à certains protagonistes de la politique.» La structure Open de Matteo Renzi, que le chercheur ne cite pas, est aujourd’hui l’exemple le plus éclatant.